- Présentation
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Présentation
Comme Anthony B. Atkinson l’a montré pour le Royaume-Uni (Atkinson 2018), Joseph Stiglitz pour les États-Unis (Stiglitz 2019), Thomas Piketty pour la France (Piketty 2011 et 2013) et pour les différents pays européens (Alvaredo, Garbinti & Piketty 2017), on assiste, depuis les années 1970, dans les pays développés, à « un retour de l’héritage » : après avoir décru dans la première moitié du XXe siècle, la part du patrimoine hérité dans les ressources totales des ménages a retrouvé aujourd’hui un niveau comparable à celui qu’il détenait au XIXe siècle. Et ce « retour de l’héritage », loin de bénéficier à tous, est au contraire fortement discriminant dans la mesure où il est très concentré.
Si, jusqu’à la parution et la très large diffusion du Capital au XXIe siècle de Thomas Piketty (Piketty 2013), le retour contemporain de l’héritage est resté peu visible et peu questionné, un nombre croissant d’économistes en appellent aujourd’hui à une réforme de la fiscalité successorale, qui permettrait d’obtenir un équilibre entre équité et efficacité, que ce soit en faisant varier le taux d’imposition selon qu’il s’agit d’héritages, de transferts entre vifs ou de dons caritatifs (Kaplow 2001 ; Bernheim & alii 2004 ; Arrondel & Masson 2011 ; Masson 2015), selon que le patrimoine transmis provient d’un héritage antérieur ou du produit du travail (Halliday 2018), selon l’âge du défunt (Pestieau & Ponthière 2018), selon l’âge de l’héritier (Dherbécourt), ou que ce soit en élargissant l’assiette de l’imposition par la prise en compte des revenus non visibles du patrimoine (Allègre, Plane & Timbeau 2012) ou encore par celle de l’ensemble du patrimoine hérité au cours de la vie (Frémeaux 2018). D’autres pointent la nécessité de compléter la taxation sur les transmissions par une taxation accrue sur le patrimoine (Piketty 2019).
Mais si la question de l’héritage revêt une importance croissante en économie, elle demeure singulièrement absente en philosophie, quand bien même elle articule des concepts philosophiques cardinaux tels que ceux de propriété, de famille, de mort, de justice sociale, de justice fiscale, d’égalité des chances ou des opportunités. Plus surprenant encore, à l’exception des libertariens de droite (Nozick 2016, Rothbard 2002) et de gauche (Steiner 1994, Vallentyne 2001, Van Parijs 1991 et 1995, Otsuka 2003), l’institution de l’héritage reste très peu questionnée au sein même des théories de la justice, cette partie de la philosophie sociale et politique qui, dans le sillage de John Rawls, se saisit de la ligne de partage entre inégalités sociales justes et injustes.
Les workshops Penser l’héritage, organisé dans le cadre de la chaire d'excellence UCAjedi Reconsidering Inheritance, entendent combler ce manque en se saisissant philosophiquement de l’institution de l’héritage.
Bibliographie
Allègre G., Plane M. & Timbeau X. (2012), « Réformer la fiscalité du patrimoine ? », Revue de l’OFCE, 122, p. 231-261.
Arrondel L. & Masson A. (2011), « Taxer les héritages pour accroître la mobilité du patrimoine entre générations », Revue française d'économie, Volume XXVI, 2011/2, p. 23-72.
Atkinson A. (2018), "Wealth and inheritance in Britain from 1896 to the present", The Journal of Economic Inequality, 16/2, p. 137-169.
Bernheim B. D., Lemke R. J. & Scholz J. K. (2004), "Do Estate and Gift Taxes Affect The Timing of Private Transferts?", Journal of Public Economics, 88/12, p. 2617-2634.
Dherbécourt C. (2017), « Peut-on éviter une société d’héritiers ? », Note d’analyse, n°51, France Stratégie.
Frémeaux N. (2018), Les Nouveaux Héritiers, Paris, Seuil.
Halliday D. (2018), The Inheritance of Wealth: Justice, Equality and The Right to Bequeath, Oxford University Press.
Kaplow L. (2001), “A Framework for Assessing Estate and Gift Taxation”, in Gale W., Hines J., and Slemrod J. (ed.), Rethinking Estate and Gift Taxation, Washington, Brookings Institution Press.
Masson A. (2015), « Comment justifier une augmentation impopulaire des droits de succession », Revue de l’OFCE, 139, p. 267-326.
Otsuka M. (2003), Libertarianism without Inequality, Oxford, Oxford University Press.
Pestieau P. & Ponthière G. (2018), "An age-differentiated tax on bequests", Centre for operations Research and Econometrics, 2018/06, p. 1-11.
Piketty Th. (2011), « On the Long-Run Evolution of Inheritance: France 1820–2050 », The Quarterly Journal of Economics, 126/3, p. 1071–1131; (2013), Le Capital au XXIe siècle, Paris, Seuil; (2019), Capital et Idéologie, Paris, Le Seuil.
Nozick R. (2016), Anarchie, État et utopie, Paris, PUF.
Rothbard M. N. (2002), For a New Liberty - The Libertarian Manifesto, New York, Collier Books, 2002.
Steiner H. (1994), An Essay on Rights, Cambridge MA, Balsckwell.
Stiglitz J. (2019), People, Power and Profits: Progressive Capitalism for an Age of Discontent, New-York, Norton & Company.
Vallentyne P. (2001), “Left-Libertarianism: A Primer”, in Vallentyne P. & Steiner H. (dir.), Left-Libertarianism and Its Critics. The Contemporary Debate, New York, Palgrave Macmillan, 2001, p. 1-21.
Van Parijs Ph. (1991), Qu’est-ce qu’une société juste ?, Paris, Seuil ; (1995), Real Freedom for All. What (If Anything) Can Justify Capitalism?, Oxford, Oxford University Press.Organisation
Mélanie PLOUVIEZ
maîtresse de conférences en philosophie à UCA
lauréate de la Chaire d'excellence Idex UCAjedi Reconsidering Inheritance - Séances
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- Jeudi 9 mars 2023 - Workshop Penser l'héritage 8
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ANR PHILHERIT - Workshop Penser l'héritage 8 - Codifier le droit coutumier de l'héritage en Inde Britannique - Jeudi 9 mars 2023, 13h-16h
Le Centre de Recherches en Histoire des Idées d'Université Côte d'Azur organise, dans le cadre de l’ANR JCJC Philosophie de l'héritage, le jeudi 9 mars 2023 de 13h à 16h, un huitième workshop "Penser l'héritage" qui aura lieu en hybride. Ce workshop est intitulé « Codifier le droit coutumier de l'héritage en Inde Britannique. Entre retour réflexif et cristallisation de l'exclusion des femmes ». Amanjit Kaur Sharanjit (Centre de Théorie et d'Analyse du Droit, Université Paris Nanterre) y présentera une intervention intitulée « La succession agnatique et l’exclusion des femmes dans l’héritage des propriétés ancestrales : l’exemple des femmes veuves dans le Punjab britannique (1849-1947) ». Marc Goëtzmann (Maître de conférences au Département Droit-Langues de l’Université de Tours) y présentera une intervention intitulée « John Stuart Mill (1806-1873) et Henry Sumner Maine (1822-1888) : le droit coutumier Indien comme inspiration d’une réforme libérale de l’héritage ».
Workshop PENSER L'HÉRITAGE 8
CODIFIER LE DROIT COUTUMIER DE L'HERITAGE
EN INDE BRITANNIQUE.
Entre retour réflexif et cristallisation de l'exclusion des femmesavec Amanjit Kaur Sharanjit et Marc Goëtzmann
Jeudi 9 mars 2023, 13h-16h
EN HYBRIDE :
- Université Côte d'Azur, Campus Carlone, salle Extension 314 (98 boulevard Edouard Herriot, Nice)
- lien Zoom ci-dessousBourne & Shepherd, The Supreme Indian Council, Simla, 1864 © National Portrait Gallery, London Bourne & Shepherd, The Supreme Indian Council, Simla, 1864 © National Portrait Gallery, London
PROGRAMME :13h-14h : Amanjit Kaur Sharanjit (Centre de Théorie et d'Analyse du Droit, Université Paris Nanterre)
« La succession agnatique et l’exclusion des femmes dans l’héritage des propriétés ancestrales : l’exemple des femmes veuves dans le Punjab britannique (1849-1947) »Résumé de l'intervention :
L'intérêt renouvelé pour le droit romain des praticiens et théoriciens européens du droit du XIXe siècle a eu pour conséquence, peut-être étonnante, d'influencer l'histoire du droit de l'Inde Britannique. Dans la province du Punjab, la doctrine romaine de la succession agnatique connaît en effet un grand succès : les juges de la région, avec la figure prédominante du romaniste William Henry Rattigan (1842-1904), entérinent l’idée que seules les personnes de sexe masculin peuvent hériter des propriétés ancestrales. Ils estiment ainsi qu’il s’agit simplement d’une reconnaissance d’un état de fait, le « droit coutumier du Punjab ». Pourtant, à partir de la seconde moitié du XIXe siècle, une telle approche fait l’objet de critiques : d’une part, des femmes, veuves, n’hésitent pas à saisir les juridictions pour se prévaloir de leurs droits de succession ; d’autre part, les nouveaux leaders politiques indiens et les mouvements féministes naissants dénoncent ce même droit coutumier comme n’étant qu’une construction coloniale et un prétexte pour contrôler les terres agricoles du Punjab britannique. Cette dualité – une rhétorique sur la reconnaissance d’un état de fait vs une exclusion institutionnelle, construite, des femmes de la succession – sera l’objet de notre intervention.14h-15h : Marc Goëtzmann (Maître de conférences au Département Droit-Langues de l’Université de Tours)
« John Stuart Mill (1806-1873) et Henry Sumner Maine (1822-1888) : le droit coutumier Indien comme inspiration d’une réforme libérale de l’héritage »Résumé de l'intervention :
Pour le philosophe John Stuart Mill comme pour le juriste victorien Henry Sumner Maine, la colonisation et la gestion administrative de l’Inde par les Britanniques furent l’occasion de repenser radicalement l’origine aussi bien que la légitimité d’institutions comme la propriété et l’héritage. Pour Maine comme pour Mill, l’héritage est une institution aux origines coutumières, qui n’a d’autre raison d’être que la gestion et la transmission, à travers les générations, d’un patrimoine appartenant non aux individus, mais à la famille (très) élargie, dont l’ancêtre n’est autre que la « communauté villageoise ». Si les reliquats coutumiers qu’ils observent en Inde apportent la preuve de cette origine, ils rendent dans le même temps évidente la nécessité de réformer en profondeur l’héritage dans les sociétés « modernes » et libérales, dans lesquelles la raison d’être coutumière de l’héritage a disparu. Sont alors visés en priorité le « droit à hériter », ainsi que la marginalisation systématique dont les femmes sont victimes.15h-16h - Discussion
PARTICIPER À LA RÉUNION ZOOM
Sujet : ANR Philherit - Workshop Penser l'héritage n°8
Heure : 9 mars 2023 01:00 PM Paris
https://univ-cotedazur.zoom.us/j/83377412451?pwd=TFJUeGdNM2ZXOGlvV3luNHBoUE1QUT09
ID de réunion : 833 7741 2451
Code secret : 918107
CONTACTS
Mélanie Plouviez : melanie.plouviez[at]univ-cotedazur.fr
Stefania Ferrando : stefania.ferrando[at]univ-cotedazur.fr
LIEN VERS LE CARNET DE RECHERCHES DU PROJET ANR JCJC PHILHERIT
- Vendredi 30 septembre 2022 - Atelier Philosophie du droit successoral : "Les dernières volontés" - Congrès de la SFPJ - Toulouse (2)
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PROGRAMME :
VENDREDI 20 SEPTEMBRE 2022, 14h-17h
- Marc GOETZMANN, Maître de conférences en civilisation anglophone à l’Université de Tours, équipe Interactions culturelles et discursives
« Don causa mortis et autonomie : être l’auteur de sa propre vie, même après la mort ? »- Anne-Marie LEROYER, Professeure en droit privé à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Institut de recherche juridique de la Sorbonne
« À la recherche des dernières volontés »- Mélanie PLOUVIEZ, Maîtresse de conférences en philosophie à l’Université Côte d’Azur, Centre de Recherches en Histoire des Idées
« La volonté du défunt est-elle encore une volonté ? »- Martin RUEFF, Professeur en littérature française à l'Université de Genève
« Léguer, transmettre : la scène des dernières volontés dans le roman moderne »- Jérôme VIRET, Professeur en histoire moderne à l’Université de Lorraine, Centre de Recherche Universitaire Lorrain d'Histoire
« Ni sacrés ni profanes. Les testaments dans la famille de Jean-Baptiste de la Salle »Modération : Gabrielle RADICA, Professeure en philosophie à l’Université de Lille, UMR Savoirs, Textes, Langage
- Lundi 6 décembre 2021 - Workshop Penser l'héritage 6
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PROGRAMME
9h-10h - Anne VERJUS - Transmission des biens et filiation par les femmes à l’époque des Révolutions : l’œuvre oubliée de James Henry Lawrence (1773-1840)
Présentation d'Anne VERJUS :
Politiste et socio-historienne, Anne VERJUS est directrice de recherche au CNRS au sein du laboratoire TRIANGLE (Lyon) qu'elle dirige. Elle a travaillé sur la citoyenneté politique des femmes à l’époque de la Révolution, sur le couple et la famille comme système de représentation et de division des genres, et s’oriente actuellement vers la sociologie historique des sexualités. Elle est l'auteure de : Le bon mari. Une histoire politique des hommes et des femmes à l’époque révolutionnaire (Fayard, 2010), et avec Denise Zara Davidson de Le Roman conjugal. Chroniques de la vie familiale à l’époque de la révolution et de l’empire (Champ Vallon, 2011).Résumé de l'intervention :
James Henry Lawrence est un auteur anglais qui publie, en trois langues et sur une durée d’un demi siècle, entre 1793 et la fin des années 1830, une quinzaine d’éditions différentes d’une même œuvre : L’Empire des Nairs. Peu connu aujourd’hui, largement diffusé dans les cercles radicaux de son vivant, il est l’un des rares penseurs de son époque à proposer une abolition du patriarcat par la suppression du mariage et de la paternité. Ce qui le motive n’est pourtant pas la libération des femmes mais l’authenticité de la filiation. Car l’émancipation des femmes vient comme une conséquence et non comme une finalité de son système aristocratique : la transmission des biens et du nom par les mères, seule garante à ses yeux d’une vérité de la filiation, garantit à celles-ci leur autonomie juridique et leur indépendance économique. L’éloge que les Saint Simoniennes feront de son livre témoigne de la proximité de vues entre les premières féministes et cet aristocrate convaincu et iconoclaste. Nous discuterons, dans cette communication, d’une part des conditions de possibilité, de circulation et de réception de cette œuvre atypique ; d’autre part d’un des nombreux paradoxes qui la traversent : comment peut-on être aristocrate, anti-moderne, adepte des Lumières et féministe en même temps ?10h-11h - Stefania FERRANDO, De l’abolition de la place du père à l’abolition de l’héritage : Ma loi d’avenir de Claire Démar (1833)
Présentation de Stefania FERRANDO :
Stefania FERRANDO est post-doctorante en philosophie à l'EHESS dans le cadre du projet ANR ReMouS (Religions monothéistes et mouvements sociaux d’émancipation). Spécialiste du saint-simonisme et des courants féministes du XIXe siècle, elle a soutenu en 2015 une thèse de philosophie, menée sous la direction de B. Karsenti à l’EHESS et G. Duso à l’Université de Padoue, dans laquelle elle a étudié la manière dont la question de la liberté des femmes était posée pendant la Révolution française et au sein du mouvement saint-simonien : question de l’accès des femmes à la politique, de leurs droits au sein de la famille, comme dans la sphère professionnelle. Ses recherches actuelles portent sur le rapport entre le langage politique féministe et le langage religieux. A partir du moment où les pratiques de liberté des femmes ont affaire aux corps et à la sexualité, il s’agit de comprendre si et comment l’élaboration de demandes de justice ainsi que la formulation de désirs et idéaux au sein des mouvements féministes sont confrontées aux traditions religieuses monothéistes. Dans cette perspective, elle s’intéresse tout particulièrement à la reprise de la tradition mystique chrétienne au sein du féminisme du XXe siècle.Résumé de son intervention :
Cette intervention sera consacrée aux débats sur l’héritage qui surgissent au sein de l’école proto-socialiste saint-simonienne à compter des années 1830. Plus précisément, je me concentrerai sur les paroles des femmes qui interviennent dans ces discussions.
Si Saint-Simon a abordé la question de l’héritage à partir de l’ouverture des carrières qui accompagnait la fin d’une société de statuts et l’émergence d’une société de classes, ses disciples analysent plutôt les pratiques successorales à partir des conflits et des injustices d’une société de classe en formation.
Certaines femmes du mouvement interviennent dans les débats au sein desquels les propos sur l’abolition de l’héritage se relient aux transformations radicales de l’organisation familiale que le saint-simonisme envisage et cherche en partie à réaliser. Dans cette perspective, une place importante sera accordée dans l’intervention aux écrits de Claire Démar qui, en reprenant et en transformant les thèses de James Henry Lawrence, mobilise l’idée d’une transmission « ombilicale » de mère en fille. Il s’agit d’une transformation profonde de la conceptualisation de l’héritage, qui ne consiste pas dans la substitution de la mère au père au sein d’une structure qui resterait par ailleurs inchangée : Claire Démar en vient à mettre en cause radicalement la justice de l’héritage en tant que tel, et plus largement le sens et les formes de la transmission, jusqu’à problématiser la place sociale du père ainsi que les contraintes qui pèsent sur la sexualité des femmes.
11h-12h - Discussion